Bouis-Bouis, bastringues et caboulots de Paris – Le Casino – 1861

Publié le : 11 mars 20209 mins de lecture

En voici, pour le coup, un beau bastringue !

Toutes les séductions imaginables s’y sont donné rendez-vous. Tous les arts ont été invités à le décorer, sous l’inspiration de Charles Duval, un de ces architectes comme on n’en fait plus. La baguette magique de Daudé, l’organisateur des fêtes du Jardin d’hiver, y a enfanté tout un monde d’agréments variés. Il y en a pour tous les sens et pour tous les goûts.

Malheureusement, ce bal ne se recommande pas seulement par sa décoration et par l’orchestre d’Arban. Il est aussi fort connu par ses danseuses.

Encore Rigolboche

C’est une succursale de Mlle Rigolboche.

Chapeau bas et saluez jusqu’à terre, messieurs les amateurs !

Quand j’ai dit succursale, j’ai peut-être eu tort. Les Délass.-com. sont un étalage plus complet de ses charmes, mais au Casino se traitent les affaires sérieuses. C’est la bourse de la célèbre ballerine et de ses imitatrices. Les femmes y ont des cours ni plus ni moins que les suifs et les cuirs en poil à la Bourse des négociants.

Donc, le Casino est un marché, marché immonde, si l’on veut, et qu’on ne saurait trop flétrir. Tant pis pour les propriétaires en général, et pour M. Pellagot en particulier ! En somme, c’est une drôle de boutique que ce bastringue cynique, ou l’on ne s’amuse pas, où l’on ne rit jamais, mais où l’on fait des affaires, tout comme dans une halle.

Les Plagiaires

Un caractère particulier aux ballerines du Casino, c’est qu’elles n’ont, pour tout esprit, que ce cynisme grossier des filles de la rue, que ce jargon de la prostituée, jargon mille fois plus immonde que le langage imagé des filous. Si demain leur bal cessait d’exister, rien ne serait changé dans leur existence : elles travailleraient au coin de la rue, et puis tout serait dit.

J’ajouterai, cependant, que le Casino présente quelques séductions : l’orchestre en est souvent fort remarquable ; Arban est un grand artiste, sans nul doute ; mais il est triste de voir son talent au service d’un si étrange public.

A côté de Rigolboche, l’étoile des étoiles, brillent au Casino quelques autres filles que la jalousie a rendues presque aussi fortes qu’elle, et qui ont également leur monde. Dans un ordre moins élevé, elles ont trouvé, non des vaudevillistes effrontés, poussant l’audace jusqu’à étaler leur vie en cinq actes sur un théâtre, maïs de petits faiseurs de chansonnettes ou de quadrilles, poëtes ou musiciens, sortis de la fange, parvenus de la sorte à faire parler d’eux… sans avoir besoin de se décrotter.

Passons la revue de ces dames !

Alice la Provençale, Rosalba, Finette, Alida, Nini, Pauline l’Arsouille, Souris

Voici d’abord Alice la Provençale, une des plus chantées, une des plus dansées, éprouvant la nécessité d’entretenir le public d’elle à tout bout de champ. Son portrait figure sur plusieurs éditions de quadrilles. Quelques poëtes de la Brasserie lui ont même dédié des sonnets.

C’est une danseuse énergique : elle rachète ce qui lui manque comme souplesse par une foule de gestes immondes et de manières qui ne seraient pas certes tolérés dans certaines maisons, où tout cependant est censé toléré.

Un petit livre, que j’ai sous les yeux et qui a fait grand bruit dans-ces derniers temps, m’apprend qu’elle a été exclue de Mabille et du Château des Fleurs, où néanmoins on ne manque pas de tolérance.

Eh bien ! depuis lors, Alice danse au Casino avec moins de retenue encore !… Aussi, pour être juste, faut-il convenir que cet établissement jouit d’un peu trop de liberté peut-être.

Voici Rosalba ! Des écrivains, ses amis, en ont fait une Rigolette, qui, un beau soir, se serait trompée de route. C’est une erreur, hélas ! des plus volontaires. Une grisette reste, tant qu’elle veut, grisette. Qu’un prince l’épouse, elle le sera toujours par le cœur et par l’esprit.

Donc Rosalba, la danseuse excentrique, ne s’est pas lancée dans un bal, au sortir d’un magasin. Assurément, elle sortait de quelque part, son nom l’indique assez. Mais d’où ? Là est la question ?

Il n’est pas à Paris une maison de bon ton qui n’ait sa Rosalba. Celle du Casino en est donc une… Comprenez-vous maintenant ?

Après cela, il faut tout dire, celle-ci est la pierre précieuse de l’écrin dans lequel elle figure. Elle ne consent jamais à aller en ville ; et voilà, sans doute, pourquoi la Rosalba du Casino n’a point eu encore de concurrente portant son nom.

Avez-vous besoin de plus de renseignements pour me comprendre tout à fait ? Je ne demande pas mieux que de vous en donner. Sachez donc que notre Rosalba est un produit dont le brevet, sans garantie du gouvernement, se délivre à une préfecture qui n’a pas ses bureaux à l’hôtel-de-ville.

Des réflexions que me suggèrent ces quelques mots sur Rosalba, me décident à arrêter ici une série de portraits que je ne pourrais faire que d’emprunt, et qui, toute pruderie à part, risqueraient peut-être d’encanailler ma plume, qui ne rougit pas néanmoins aisément.

Il résulte de recherches faites à bonnes sources, que tous ces noms de danseuses du Casino, tels qu’Alice, Rosalba, Finette, Alida, Nini, Pauline l’Arsouille, Souris, ont la même provenance. J’en atteste de consciencieuses études, menées à outrance par de sérieux écrivains, tels que Parent-Duchàtelet, et dont le témoignage ne saurait être révoqué en doute.

Si ces dames avaient une autre lignée, elles ne se seraient pas affublées de ces sobriquets marqués d’un stigmate indélébile. J’ajoute que les coureurs d’aventures pourront, à la suite de cette constatation, se lancer avec plus d’audace à la poursuite de ces beautés soumises à un sévère contrôle. Ils trouveront chez elles des sécurités qu’on ne rencontre pas toujours dans la fréquentation de dames d’un étage plus élevé.

Témoins les malheurs de François Ier avec la belle Féronnière.

La chanson des Souteneurs

Mais alors, me dira-t-on, il doit rôder dans les environs du Casino de ces messieurs charmants qui protègent leurs amours et que la police décore du gracieux nom de souteneurs ?

Sans doute, dirai-je. Et, pour égayer un peu les sombres horizons qu’ouvre ce sans doute, qu’on me permette de placer ici une vieille chanson, qui, quoique fort oubliée, doit certainement ne pas être inconnue à mainte ballerine de la rue Cadet :

Tu ras’ la planch’ comme un’ varlope,
Quand tu râcl’ du Boiëldieu !
Mais que tu dans’ bien la galope,
Avec ton œil marécageux.

Nom d’un nom ! vl’à l’crincrin qui jure :
Calypso, fichons-nous tous deux
De l’agrément par la figure,
Et chahutons à qui mieux mieux !

Si j’te vois fair’ l’œil en tir’-lire
A ton perruquier du bon ton,
Calypso, j’suis fâché d’te l’dire,
Foi d’homme, j’te crève un lampion !

Nom d’un nom ! etc.

Il est dix heur’ moins un’ broquille,
Ma Calypso, t’es pas en r’tard.
Pour ton souper, va, sois tranquille :
Il pass’ des pigeons su’ l’boul’vard !

Nom d’un nom ! etc.

T’es la fleur qui monte en guirlande
Tout à l’entour de l’arbrisseau !
Ou mieux encor, t’es la limande
Qui nag’ toujours près du …………….

Nom d’un nom ! etc.

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