Caboulots et caboulotières – 1860

Publié le : 11 mars 20207 mins de lecture

La dernière ressource des femmes qui n’ont plus de ressources, le dernier asile de celles qui n’ont plus d’asile, c’est le caboulot. C’est là que l’on retrouve toutes celles qui ont survécu et qui n’ont pas eu l’habileté ou la bonne fortune d’assurer l’aisance et le repos à leurs derniers jours : quelques-unes, maigres et usées ; d’autres, avec l’embonpoint d’une maturité bien portante. Elles continuent sur cet échelon inférieur leur vie d’oisiveté, de hasards et de prostitution.

On aurait peine à deviner, en les voyant, leur ancienne existence superbe et luxueuse. Le niveau de la vulgarité et de la dépravation a passé sur elles. C’est un troupeau sans nom, manifestement marqué au cachet de toutes les misères, que le gandin repousserait avec dégoût. Elles vivent au milieu d’une famille de bohème abrutis, dont la plupart ont abdiqué et le respect des conventions sociales, et l’élévation de leur intelligence. Mais elles se mêlent au besoin avec les classes les plus infimes.

Tel est le premier aspect repoussant qu’offre à l’observateur la caboulotière.

Quelques-unes cependant ont conservé une apparence plus favorable.

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Constance M…, et ses mémoires

Constance M… traîne sur un comptoir en aluminium, dans son caboulot de la rue Dauphine. Cette épave suprême, échappée au naufrage de sa fortune, lui fournit de quoi entretenir ses charmes, qui font encore une fort belle illusion. Les curieux les admirent à travers le vitrage : au prix d’une consommation modique, on est admis dans le sanctuaire de la déesse ; elle daigne même causer avec ses clients, — et se laisse faire la cour — moyennant un supplément.

Si quelquefois elle ne répond rien à ceux qui l’interrogent, c’est qu’elle est absorbée par la méditation de ses mémoires annoncés depuis longtemps. Mais les étapes qu’elle a parcourues depuis sa sortie du magasin de nouveautés de la Petite Jeannette, — sur le boulevard des Italiens , — sont nombreuses et variées.

Il en est beaucoup qu’elle veut taire ; elle s’efforce d’embellir les autres, et la tâche est difficile. — Aussi le public doit-il se résigner à attendre longtemps encore !

Et puis, Constance ne veut pas troubler la paix publique, et elle craindrait de mettre tout Paris en rumeur si son nom apparaissait sur le catalogue d’un éditeur !

Le caboulot est un produit du quartier Latin, qui n’a encore été naturalisé nulle part ailleurs.

Il n’existe que depuis quelques années, et il a subi déjà diverses transformations.

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Etymologie et origine du caboulot

Caboulot est un mot pittoresque du patois franc-comtois, qui a obtenu droit de cité dans l’argot parisien. Il désigne un trou, un lieu de sordide et mesquine apparence, par extension petit bazar, petit café.

A son origine, le caboulot était un cercle familier de jeunes gens qui se réunissaient pour causer librement politique ou littérature.

Le maître de l’établissement, qui prenait part lui-même aux réunions et quelquefois les présidait, ne cherchait pas la fortune. Il se contentait d’une clientèle peu nombreuse à laquelle il fournissait, pour un prix modique , un local simple et de bonnes consommations.

Le premier caboulot

C’était au beau temps de la bohème ; — de cette bohème dont Murger nous a raconté l’histoire, — qui avait conservé le patrimoine de l’intelligence et qui nourrissait l’espérance de prendre rang dans le monde artistique.

De futurs hommes de lettres, des peintres, des sculpteurs, quelques étudiants composaient ces réunions, dont on peut chercher dans le café Momus une lointaine image. Les murs des anciens caboulots sont ornés de dessins originaux ; quelques-uns sont dus aux crayons d’hommes qui ont aujourd’hui un nom distingué , — comme on peut le voir au rafé Genin, rue Vavin, et au caboulot de la rue des Cordiers, 12.

Le caboulot de la rue des Cordiers , qui est le plus ancien de tous, s’ouvrit en 1852.

Le Bohème

Il rassembla les rédacteurs du journal la Bohème, fondé et dirigé par Constant Arnould. On venait y méditer le prochain numéro, et on discutait des questions littéraires, philosophiques et politiques. Beaucoup de liberté présidait à la discussion, — trop de liberté, paraît-il. Une belle nuit, les douze ou quinze principaux habitués furent arrêtés. Ils firent six mois de prévention à Mazas. Trois furent acquittés, Constant Arnould fut condamné à un an de prison, les autres subirent des condamnations inférieures.

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Transformations

Si !e caboulot eut conservé ce caractère, il ne rentrerait pas dans le plan de ce livre : tout au plus faudrait-il en parler pour raconter les excursions que durent y faire Pomponnette et ses amies. Mais peu à peu à la bohême artistique qui se retirait, succéda la bohême aventurière, qui fixa son quartier général au caboulot, où elle trouva une joyeuse compagnie, beaucoup de sans-gêne et de liberté, des prix modérés, et souvent du crédit.

Le caboulot Saint-Pierre

Il faut citer le caboulot Saint-Pierre, qui, du temps du bonhomme Bordier, donna le spectacle d’une république phalanstérienne. Chacun fumait, buvait, mangeait, jouait, s’amusait du matin au soir, sans qu’il lui en coûtât un sou. Il y en a même qui ne quittaient pas du tout l’établissement, et qui couchaient sur les banquettes.

Le patron aidait joyeusement ses clients à dépenser son capital, et on ne s’arrêta que quand il fut complètement dévoré.

Physiologie du caboulot

Bordier n’a pas été remplacé, et pour composer une physiologie des caboulots, il faudrait les parcourir un peu tous, depuis la Rapine fantastique, jusqu’à la Jeunesse et à l’Île de Calypso.

Auguste Vermorel – Ces dames – Portraits de Malakoff, de Zou-Zou, de Risette – 1860

A propos de l’auteur : Auguste Vermorel

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