La peau humaine – 1888

Publié le : 21 juillet 201715 mins de lecture

« On a dit que les hommes de la Convention, pour mieux tirer parti de l’échafaud, avaient établi au château de Meudon une tannerie de peau humaine ; mais une certaine affiche, invoquée à l’appui de cette opinion, parait avoir été tout simplement l’œuvre personnelle d’un journaliste du nom de Galetti, dans lequel on ne peut avoir aucune confiance.

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On trouvera le résumé de toutes les suppositions et de tous les renseignements à ce sujet dans différentes notices publiées par la Revue, l’Intermédiaire des chercheurs et des curieux.

Il existe même, aux Archives nationales, dossier 8, pièce 60, un document qui semble indiquer qu’il n’était pas permis de tanner la peau de ses concitoyens ; c’est la lettre suivante adressée à un agent du comité du salut public, par deux culottiers arrêtés précisément pour s’être servis de peau humaine à la demande d’un client.

Liberté, Egalité

« Les citoyens Jean Ziegler, chamoiseur, et Jean-Jacques Maus, culottier, au citoyen Garnerin, agent du Comité de salut public.

Citoyen,

Nous sommes, depuis plusieurs jours, privés de notre liberté. Nous allons t’en articuler la cause.
Il y a environ dix décades que le citoyen Morel, médecin de cette commune, se rendit chez Ziegler, l’un de nous, pour l’inviter à lui tanner une peau d’homme. La considération dont Morel jouit dans son état me déterminèrent à ne pas m’y refuser. Je comptais qu’il la destinait à son cabinet d’anatomie. Tannée, il se rendit chez Maus, aussi l’un de nous, qu’il engage à lui faire une culotte. J’ai condescendu à sa demande, parce que j’ai cru ne pouvoir mieux faire que de me prêter à ce qu’exigeait de moi un citoyen aussi recommandable.
Comme par cette condescendance nous n’avons ni compromis le bonheur public, ni entravé son cours, nous avons d’autant plus lieu d’espérer que tu nous seras de secours que nous sommes des pères de famille utiles à la patrie.
Ziegler a en ce moment 500 peaux toutes destinées au service de la cavalerie, qui risquent de se gâter.
Maus serait occupé à l’habillement de nos braves défenseurs. Hâte notre élargissement ou accélère notre jugement.

Maus, culotier.
Ziegler, chamoiseur. »

Il faut donc considérer comme une légende l’existence de tanneries de ce genre patentées par le gouvernement et alimentées par ses soins avec la peau de ses victimes.

De tout temps d’ailleurs il y a eu des collectionneurs aux goûts dépravés et des esprits baroques.

Le mari de Mme Roland avait envoyé à l’Académie de Lyon un mémoire où il proposait d’utiliser les morts en faisant de l’huile et de l’acide.

On ne s’étonnera donc pas que, pendant la Terreur, des amateurs excentriques aient, avec la peau humaine, qu’on pouvait se procurer à très bon compte, relié des ouvrages patriotiques, et notamment une édition de la Constitution de 1791.

Il en existe entre autres un exemplaire à la bibliothèque Carnavalet ; un petit morceau de la reliure a été examiné par le docteur Robin, professeur à la facilité de médecine ; il y a constaté tous les signes constitutifs de la peau humaine.

Harmand de la Meuse, dans ses Anecdotes sur la Révolution rapporte que Saint-Just envoya à l’échafaud une jeune fille qui l’avait repoussé, et se fit faire une culotte avec sa peau : « Je tiens ce fait révoltant, ajoute l’auteur, de celui même qui a été chargé de satisfaire le monstre. »

On a toujours fait, à titre de curiosité, usage de la peau humaine, et, sans réhabiliter sur ce point l’époque sanglante comme a voulu le faire avec trop de passion M. Louis Combes dans ses Épisodes et Curiosités révolutionnaires, on ne doit pas lui attribuer exclusivement l’idée d’avoir utilisé nos peaux, d’un grain délicat et fin, à la reliure des livres rares et à la confection de certains vêtements intimes.

D’après la légende, la peau du chef des Hussites en 1424, Jean Ziska, aurait été employée à faire un tambour dont le son terrifiant mettait les ennemis en fuite.

M. Ludovic Lalanne raconte, dans ses Curiosités bibliographiques qu’à la bibliothèque de Dresde, fondée en 1856, se trouve un calendrier mexicain sur peau humaine.

La Hofburg de Vienne a longtemps conservé, dans son cabinet d’histoire naturelle, quatre peaux humaines empaillées qui furent détruites le 31 octobre 1848, le jour où le prince Windischgraëtz prit la ville d’assaut ; l’une de ces peaux était celle d’un nègre, Angelo Soliman qui dut l’honneur d’être ainsi conservé à ses aventures extraordinaires. Il avait épousé une veuve excentrique et fait souche de barons autrichiens. A sa mort, en 1796, Joseph II eut l’idée bizarre d’acheter sa peau. La famille se déclara très honorée par le vœu impérial ; le défunt fut empaillé, on l’habilla ensuite de ses plus beaux vêtements, on lui mit des yeux de verre et pendant de longues années ses descendants purent le contempler dans toute sa splendeur.

On connaissait dans la bibliothèque de Malborough-house deux ouvrages reliés avec la peau d’une sorcière Mary Ratman, exécutée pour assassinat au commencement du siècle.

Le Journal de la Halle au Cuir du 5 août 1886, qui constate que la peau humaine donne un cuir très solide, épais et grainé, cite le libraire Zaenhsdorf, de Londres, et un de ses confrères comme ayant relié avec cette peau deux ouvrages et la Danse Macabre de Holbein ; tout le monde sait que Jérémie Bentham, le chef de l’école utilitaire, mort presque centenaire en 1832, légua son corps aux amphithéâtres de Londres et ordonna de relier avec sa peau ses traités de législation.

En Amérique, le pays des gens pratiques, on cite de nombreuses applications de la peau humaine à toutes sortes de fantaisies.

A l’exposition de Philadelphie, on vit figurer une paire de bottines en peau de cordonnier pendu, pour assassinat ; c’est cependant aux États-Unis qu’il existe, à propos de la peau d’un supplicié, une légende à l’adresse des amateurs de ce genre de reliques ; un shérif de la ville de Cincinnati avait eu l’idée de se faire relier la Case de l’oncle Tom avec la peau d’un célèbre assassin ; depuis, son précieux volume lui causa des mésaventures sans nombre ; il ne pouvait y toucher sans qu’il lui échappât des mains et brisât quelque objet précieux ; d’habile policier qu’il avait été jusque-là, il se signala par de ridicules insuccès, on fit sur lui des chansons, et ses rivaux demandèrent sa révocation ; en désespoir de cause, il espéra conjurer le sort en jetant le livre au feu ; il s’en échappa une fumée tellement suffocante que le malheureux magistrat fut étouffé, et sa mort est citée comme le châtiment auquel s’exposent les shérifs eux-mêmes lorsqu’ils manquent de respect envers la peau des suppliciés.

Il existe à la bibliothèque nationale une Bible du XIIIème siècle et un texte des Décrétales, qu’on suppose, sur des données très contestables, écrits sur du parchemin humain.

L’édition de l’Encyclopédie de 1763 prend soin d’indiquer le procédé à employer pour tanner la peau de l’homme et rapporte qu’un docteur Sue, chirurgien à Paris, avait donné au cabinet du roi des pantoufles faites avec une peau ainsi préparée.

On peut voir à Paris, dans le cabinet de M. Talrich, le mouleur de pièces anatomiques, deux peaux entières, l’une d’un nègre, l’autre d’une blanche, achetées à Amsterdam dans la boutique d’un brocanteur, comme l’homme à l’oreille cassée, dont Edmond About a si bien raconté l’amusante résurrection.

Tous ceux qui s’occupent d’anthropologie criminelle connaissent la collection de tatouages du docteur Lacassagne, singuliers dessins où l’homme vient sur sa propre peau attester sa vanité, sa bêtise, ses vices, et par lesquels le criminel, depuis que la peine de la marque est abolie, continue à imprimer sur lui-même une flétrissure ineffaçable.

tatouage

Il s’est établi, au sujet de la peau des suppliciés, toutes sortes de légendes ; je pourrais en citer qui sont en train de devenir des articles de foi.

Il y a deux ans, à la suite de l’exécution d’un fameux assassin, — on peut bien prononcer son nom puisqu’il a toujours déclaré que ce n’était pas le sien — le journal le Figaro, dans le numéro du 24 novembre 1884, publia, sous ce titre : Campi et sa peau un article où il était dit que l’un des préparateurs de la Société d’anthropologie, M. Flandinette, s’était réservé la peau du côté droit et du bras, afin de relier un volume contenant les nombreux articles parus sur ce personnage mystérieux et le détail des recherches scientifiques dont son corps avait été l’objet.

Le premier effet de ce récit fut d’exposer cet employé à recevoir des demandes d’une foule de collectionneurs de tous les pays ; il avait beau faire, beau dire et protester contre cette fâcheuse imputation, il n’en était pas moins harcelé par des gens convaincus qu’il mettait de la mauvaise volonté à les satisfaire. C’est alors que, pour se débarrasser de leurs importunités et les mystifier en même temps, il imagina, m’a-t-il affirmé, de leur faire croire qu’il préparait en effet son sinistre volume et il leur donna, comme étant de la peau de Campi, des morceaux de cuir chagriné d’un animal moins noble ayant les apparences de la peau humaine.

Il m’a dit aussi, pour montrer jusqu’où peuvent aller ces tristes manies, que, pendant l’autopsie, on avait volé les ongles du supplicié et que, depuis que son squelette est exposé, la phalange de l’un des doigts a disparu.

Ces scandales ont été encore dépassés par ceux auxquels donnèrent lieu l’exécution et l’autopsie de Pranzini. Les adversaires de la peine de mort n’auraient pu mieux imaginer si pour la rendre odieuse ils avaient soudoyé tout ce que Paris compte de plus méprisable ; pendant plusieurs nuits la police fut impuissante à contenir une tourbe avide de sensations brutales, espérant toujours qu’elle allait voir enfin une tête humaine rouler sous le couperet ; ils étaient là des milliers d’hommes et de femmes, venus de tous les coins de la ville, des quartiers riches comme des quartiers pauvres, se bousculant pour être à la première place et mieux se repaître de la grimace que ferait le condamné à la dernière heure ; de cette cohue s’élevait comme un bruit de houle ; plaisanteries immondes, mots cyniques, coups de sifflets, signes de ralliement, hurlements de bête fauve, éclats de rire, grognements d’impatience, stupides chansons, refrains en vogue des cafés-concerts, tout cela formait une immense vocifération qui, traversant les murs épais de la prison, allait réveiller le condamné dans sa cellule.

Après l’exécution, la curiosité féroce du public ne fut pas encore satisfaite ; elle prit plaisir à connaître tous les petits détails de l’autopsie par le menu ; à la première page, les journaux fulminaient contre ce goût dépravé.

« Écume et lie », s’écriait Félix Pyat dans un journal radical, « affreux spectacle… preuve dégradante que le sauvage est toujours au fond du civilisé. »

« Dans de pareilles conditions, disait de son côté un journal très conservateur, et en attendant que la foi reprenne sur ce peuple une domination souveraine, il est permis de se demander s’il ne vaudrait pas mieux soustraire aux quolibets de la populace, et même aux curiosités des classes dirigeantes qui se font populace ce jour-là, le spectacle de la peine de mort. »

Mais à la seconde page ces mêmes journaux, sans distinction d’opinion, s’empressaient à qui mieux mieux de donner à leurs lecteurs les détails les plus précis et les plus répugnants ; c’est dans des feuilles, très lues par les femmes du monde, qu’on a écrit que Pranzini avait les ongles mal soignés et que pendant l’autopsie un chien, plus excusable assurément que les gens qui hurlaient autour de l’échafaud, avait emporté dans sa gueule quelques morceaux de sa chair.

Enfin, pour mettre le comble à tous ces désordres, un agent de police, très bon serviteur d’ailleurs, ayant obtenu de la complaisance de quelques garçons d’amphithéâtre de la peau du condamné, en fît fabriquer des portefeuilles dont il fit hommage à ses chefs ; la justice dut intervenir pour mettre un terme à ces profanations ; le bruit trop exagéré que fît cette affaire sera un salutaire avertissement et dans l’avenir obligera tout le monde à un plus grand respect des cadavres.

C’est dans la pensée d’y contribuer que j’ai cru devoir donner quelque développement au récit de ces condamnables excentricités. »

Adolphe Guillot, Juge d’instruction à Paris – Paris qui souffre – La basse geôle du Grand-Chatelet et les morgues modernes – 1888

 

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