Les carrières de Montmartre – 1860

Publié le : 20 juillet 20175 mins de lecture

Vers 1844 ou 1845, avisé, par les récits que faisaient les journaux, qu’une partie de la montagne de Montmartre s’était détachée de la pointe qui regarde le faubourg Saint-Denis, et était descendue sur les maisons de la rue Saint-André, qu’elle avait écrasées, la curiosité me poussa à aller voir, comme beaucoup d’autres, ce qu’il en était. Je vis en effet qu’une masse considérable s’était détachée de la montagne, avait glissé tout d’un bloc sans être bouleversée, et avait englouti des jardins avec leurs arbres, ainsi que les murs de clôture, écrasé deux maisons et fortement endommagé une troisième, dont les habitants avaient décampé, avertis qu’ils étaient par les hurlements des chiens, qui avaient ressenti le travail de la commotion prochaine. Cette masse n’était pas bouleversée, comme on aurait pu le croire ; non ! elle avait glissé si tranquillement sur une nappe d’eau et un lit de glaise [1] que des petits arbrisseaux et des herbes, poussés à la surface du sol, n’avaient pas été dérangés. La végétation continuait son travail comme si le fait n’était pas arrivé.

L’occasion de voir cette scène étrange m’en procura une autre, celle de voir les carrières de cette même montagne de Montmartre, d’où l’on extrait depuis des siècles de la pierre à bâtir, mais plutôt à plâtre. Comme ces carrières étaient tout près de la butte déplacée, je forçai la consigne, qui était une barrière en bois, et j’entrai dans ces souterrains. Ils avaient quatre grandes entrées. Je parcourus les galeries, mais pas autant que je l’aurais voulu. Les piliers de soutènement étaient gros, épais et hauts, à chapiteaux étendus. Dans les profondeurs des galeries souterraines qui s’ouvraient devant moi j’apercevais comme des ombres fantastiques ; c’étaient des charretiers qui chargeaient leurs voitures de pierres. Dans un endroit de l’une de ces galeries la voûte était crevée ; de la terre et des petits arbres avec leur motte de terre étaient descendus dans la galerie ; je vis la voûte du ciel à travers la voûte de terre. A cette vue je sentis un frisson parcourir tout mon corps, je sortis bien vite d’un endroit aussi périlleux, en regrettant de ne pouvoir explorer ces intéressantes galeries.

Ces carrières-là auraient pu mieux servir de catacombes de Paris que les trous qui leur ont été consacré, s’il n’avait pas été dangereux pour le village de Montmartre de les conserver.

Peu de temps après le déplacement de la butte dont j’ai parlé plus haut, et vu les accidents, les pertes qu’elle avait causées aux propriétaires et aux locataires des maisons englouties, et dont deux sont encore sous terre, rue Saint-André, nos 21 et 22 (la troisième, n°20, est relevée), et la frayeur causée aux habitants de ce quartier populeux, l’autorité prit des mesures pour éviter de plus grands malheurs ; car les galeries souterraines en question approchaient sous les maisons de Montmartre sises au-dessus de ces carrières ; il était à craindre que la commotion produite par la descente de cette butte et que le vide qu’elle faisait au flanc de la montagne ne produisît un nouveau travail souterrain, et qu’un autre déplacement plus considérable encore et plus grave venant à se produire, ne fit descendre les maisons et les habitants dans les carrières, et par suite ébranler et renverser la lourde construction de l’église. L’autorité, dis-je, fit cesser les travaux des carriers, démolir les entrées, combler ces cavités, détruire les fours à plâtre, remblayer le tout ; et sur l’emplacement de ces fours et des carrières effondrées on a formé une belle place avec un rond-point au milieu, où se trouve une fontaine entourée d’un petit parterre et surmontée de la statue de saint Pierre, patron de Montmartre, village qui est maintenant réuni à la ville de Paris.

Cette place sert à toutes sortes de jeux les dimanches et les fêtes. Une foule de saltimbanques, véritable colonie de bohémiens, n’ayant d’autre gîte nocturne que leurs misérables charrettes, y étalent leurs théâtres en plein vent.

L F. Hivert – Esquisse sur les catacombes de Paris et sur les catacombes de Rome, la montagne Montmartre et le mont Valérien – 1860

Pour plus d'informations : Une nuit de Paris - 1815

À lire en complément : L’histoire des catacombes de Paris

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