Saint-Ouen-les-Puces – 1904

Publié le : 18 septembre 20193 mins de lecture

Quand’mêm’ que l’on soy’ dans l’besoin,
Nous aut’ on n’a pas l’air arsouille,
Car on s’nippe au marché d’la pouille,
Au marché des puc’ de Saint-Ouen.

Dam’, c’est pas la Bell’Jardinière,
Et les costum’ n’ont rien d’anglais,
Quand on y dégot’ des complets,
C’est rar’ qu’y soy’ d’la mod’ dernière.

Et pour ça qui n’est des ribouis,
Bott’ souliers ou bien bottines,
On peut dir’ qu’ces pair’ de tartines,
À val’ plutôt quinz’ ronds qu’un louis.

Mais c’est égal, on y découvre
Parfois des pal’tots épatants,
Des gilets et des culbutants,
A des prix bien moins chers qu’au Louvre.

L’dimanche avec le môm’ Tintin,
Moi, j’y vais ballader ma flemme,
Suivi d’la Lisa qu’est si blême
Et d’l’Honorin’ qu’a les ch’veux teints.

On s’allum’ l’oeil sur tout’ les choses,
On chiffortonn’ par ci, par là,
Au bout d’la matinée on a
Quéqu’fois dégoté du grandiose !

— Tiens, tu parl’, mon pot’, j’y’ai trouvé
C’pardoss avec col en fourrure,
Et d’vin’ c’que j’ai payé c’te p’lure :
Un’ pièc’ de trois francs, trois linvés.

Et l’môm’ Tintin et l’Honorine
Se sont r’fringués du bas en haut
Avec un’ thune et dix pélots :
L’Honorine a même un’ pél’rine !

Et, ça c’est le plus drolichon,
La môm’ Lisa, qu’est si coquette,
Pour un loussé y’ a fait l’emplette
D’un cach’ corset pour ses nichons !

Aussi, j’peux dev’nir millionnaire,
Figurer dans les grands seigneurs,
Moi, j’chang’rai jamais d’fournisseurs,
J’continuerai comm’ d’ordinaire ;

Quand mêm’ je n’s’rai plus dans l’besoin,
Pour ne pas avoir l’air arsouille,
Je m’nipp’rai au marché d’la pouille,
Au marché des puc’ de Saint-Ouen.

Fabrice Delphi (1877-1937) – Outre-fortifs : impressions de banlieue – 1904

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