La légende du Pont-aux-Oiseaux

Publié le : 21 juillet 20175 mins de lecture

Il y avait à Paris un pont, connu sous le nom de Pont Marchand ; il avait remplacé le Pont-aux-Meuniers ; le populaire l’avait baptisé du nom de Pont-aux-Oiseaux. Il avait été construit par le capitaine Marchand, comme l’indiquait une table en marbre, placée à son extrémité, et sur laquelle on lisait ce distique :

Pons olim submersus aquis, nunc mole resurgo.
Mercator fecit, nomem et ipse dedit.
1609.

Les anciens ponts étaient bordés de maisons, de telle sorte que le passant ne se doutait pas qu’il était sur la Seine, dont la vue lui était cachée par ces bâtisses sur pilotis.

Le feu les consumait souvent, comme le Petit-Pont de Paris, qui brûla en 1718 par suite d’une croyance superstitieuse. Une mère dont le fils s’était noyé dans la Seine crut, pour retrouver son corps et lui donner la sépulture, devoir abandonner au cours de la rivière un pain sur lequel était placé une chandelle allumée, et que Saint Antoine de Padoue ferait arrêter cette lumière flottante sur l’endroit où serait le corps. La chandelle rencontra un bateau chargé de foin et l’enflamma ; on coupa les cordes qui le retenaient afin qu’il allât brûler au milieu de l’eau, mais il vint s’arrêter sous le pont, qui fut réduit en cendres, ainsi que la plupart des maisons !

Le Pont-aux-Meuniers, que Marchand réédifia, avait une particularité remarquable qui lui fit donner le nom de Pont-aux-Oiseaux. Toutes ses maisons, construites en bois, étaient uniformes et peintes à l’huile ; chacune était distinguée par une enseigne représentant un oiseau, d’où son nom : Au Merle-Blanc, au Coulon, au Rossignolet, au Corbeau, au Coq-Héron, au Faucon, au Grand-Duc, au Pivert, au Grand-Pélican-Blanc, au Coq-Hardi, à la Chouette-Huppée…

pont aux fleurs

A l’extrémité s’élevait la taverne d’un marchand de vin et liqueurs, qui prit pour enseigne A la Descente du Saint-Esprit. Elle représentait une colombe aux ailes déployées, tête en bas, et sortant d’un nuage grossièrement figuré, absolument comme on le voit encore aujourd’hui à la porte de quelques boutiques. Or, voici ce que dit la chronique sur l’origine de cette fameuse enseigne.

Le tavernier, dont la légende n’a pas conservé le nom, avait une fille appelée Colombette, douce, sage et modeste comme son homonyme.

La renommée de la maison n’était pas grande. A peine quelques malandrins y allaient par ci par là essayer de boire sans bourse délier. Le guet venait souvent mettre le holà, et conduisait au Châtelet, méditer sur l’utilité des angelots, les truands désargentés.

Or, il advint qu’un jour de Pentecôte, Colombette alla ouïr la grand’messe à Notre-Dame, et, chose singulière, quand, après le Vent Creator, commença la cérémonie des oiseaux, une pauvre colombe toute blanche, effrayée de voir une si grande foule, vint, tête baissée, se cacher dans la capeline de la jeune fille, comme si elle eût compris que là elle aurait un nid sûr et serait bien protégée. C’était une sœur qui venait demander protection à sa sœur ; aussi Colombette se garda bien de la repousser. Comme le populaire croyait que ces oiseaux venaient du ciel, que c’était Dieu qui les envoyait, on regarda cette préférence pour la fille du tavernier comme un fait extraordinaire ; on la crut prédestinée.

La jeune fille emporta la colombe à la maison paternelle et en eut un soin extrême. L’événement, raconté et commenté par les commères de la Cité, attira beaucoup de monde. La maison prit pour enseigne : A la Descente du Saint-Esprit et prospéra presque miraculeusement. Colombette ne manqua pas d’épouseurs, choisit bien, et fonda une bonne maison, qui continua de génération en génération.

Par un grossier jeu de mots, on multiplia cette enseigne en disant que c’était à la descente de l’esprit de vin, de l’esprit pur de tout mélange. Plusieurs fois on essaya de former la corporation des marchands de vin et liqueurs, mais ils ne surent jamais se tenir en association ; l’esprit de corps leur a manqué. C’est le seul état important qui ne figure pas dans la liste des corps de métiers au moyen âge, où l’on voit cependant la corporation des tonneliers.

Amédée de Ponthieu – Les fêtes légendaires – 1866

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