La salle des morts de l’Hôtel-Dieu – 1877

Publié le : 21 juillet 20179 mins de lecture

« C’est dans le second bâtiment, entre la Seine et le quai Montebello, que se trouvait cette chose peut-être unique dans Paris, la salle des morts de l’Hôtel-Dieu.

Tous les hôpitaux en ont une, mais aucune ne peut donner une idée de celle-là, et quand on l’a vue une fois on ne l’oublie pas. Le chemin qu’on suivait pour s’y rendre avait déjà son cachet dramatique. Il fallait, après être entré par le parvis Notre-Dame, traverser tout le premier bâtiment, descendre à la passerelle qui reliait les rives du petit bras de la Seine, descendre encore, passer sous le quai de Montebello, et enfin suivre un couloir sombre qui aboutissait à un petit carrefour.

Pont_de_l_Hotel-Dieu

A droite était une sorte de caveau noir et humide fermé par une porte de fer qui retombait sur vous avec un bruit sinistre et vous faisait passer un frisson dans le dos.

C’était là.

« Tout d’abord, disais-je dans un article publié quelques jours après ma visite, on reste sur le seuil, abasourdi, terrifié. Il fait noir. Seule, pendant de la voûte, où l’eau suinte goutte à goutte, une lampe sépulcrale brille d’une lueur pâle qui fait encore mieux ressortir l’obscurité. Enfin les yeux s’habituent.

On distingue vaguement les objets. A. droite, s’ouvre une chapelle aussi triste que la salle elle-même. Un grand christ de bois noir étend les bras ; une statue de la Vierge ; un autel qu’on distingue à peine. Encore quelques marches à descendre et nous voilà au milieu des cadavres. Quarante tables tapissées de zinc sont disposées pour les recevoir.

Chacune de ces tables est recouverte d’un couvercle en zinc, ayant exactement la forme d’un cercueil. Lorsque le couvercle contient un cadavre, c’est indiqué par une pancarte pendue au mur, et donnant le nom du défunt et les détails de la maladie. ’

Les morts sont placés avec méthode, les hommes à droite et les femmes à gauche.

Faut-il répéter ici un mot terriblement caractéristique qui fut dit devant nous, il y a quelques années, alors que nous visitions l’Hôtel-Dieu ?

Le directeur faisait observer qu’un cadavre de femme avait été par erreur, placé sur les dalles réservées aux hommes.

Ah ! je vais vous dire, répondit naïvement le gardien, c’est que du côté de la rivière les rats me les mangent.

Hâtons-nous de dire que, depuis cette époque, des mesures ont été prises pour éviter ces épouvantables inconvénients.

soubassement_hotel_dieu

En quittant la « salle des morts », on arrive à la salle d’autopsie ; dix tables de pierre, des robinets répandant partout l’eau à profusion, des écuelles contenant du chlorure de chaux, voilà le mobilier.

En suivant toujours on arrive à la salle des départs.

Celte salle d’attente est le lieu où l’on place les corps réclamés en attendant l’inhumation, Elle ressemble un peu à un poste. Toute peinte en noir, elle est meublée de lits de camp, sur lesquels reposent les cercueils prêts à partir. Quelquefois la salle est trop petite, et il faut mettre plusieurs cercueils les uns sur les autres. Il n’y a, du reste, pas de danger de confusion, chacun de ces funèbres colis portant, comme étiquette, un bulletin des pompes funèbres.

Au fond de la salle est encore un grand christ en chêne noirci. Au-dessous, sur une chaise, deux chats noirs et blancs jouent à côté d’une écuelle de soupe.

Derrière la salle d’attente est le magasin aux cercueils. Ils sont là, attendant leur proie, placés par rang de taille, comme les soldats dans un défilé.

AncienHotelDieuParisMarville

Et au milieu de tout cela, va et vient le gardien ; comme celui de Han d’Islande, il vit là, il y loge, il y mange, il y couche. Autrefois, le gardien était un nommé Langlois, marié entre deux ensevelissements, et qui avait amené sa femme passer dans ce souterrain horrible la première nuit de ses noces et sa lune de miel. Langlois aimait ses morts, il parait de fleurs les soupiraux de leur cave. Il les arrangeait avec un soin paternel, comme une fillette arrange sa poupée, et sa femme au bout de quelques jours avait pris goût à la besogne et secondait son mari avec un vrai plaisir… Ils sont morts, m’a-t-on dit, tous deux… n’étaient-ils pas déjà séparés des vivants ? »

Comme on le voit, je ne doutais pas du décès du brave Langlois. Mais il paraît qu’on lit les journaux même chez les morts ; car huit jours plus tard, je recevais de lui la lettre suivante, que je conserve comme curiosité

morgue

Administration générale de l’Assistance publique à Paris

Hôpital St-Antoine, salle des morts, ce 4 août 1877.

Monsieur,

Dans le milieu sépulcral où je vis, les nouvelles m’arrivent fort tard, c’est hier seulement que j’ai lu votre numéro du 29 juillet dernier, où vous daignez vous occuper de ma modeste personnalité et de celle de mon épouse.

Dans une dernière et sentimentale visite que vous faites au vieil Hôtel-Dieu, destiné à la.pioche des démolisseurs, — pour parler comme ceux qui ont de la littérature, — vous voulez bien descendre dans la salle des morts, où vous rencontrez le souvenir d’un ancien gardien nommé Langlois, à propos duquel vous commettez quelques inexactitudes.

D’abord vous dites que Langlois est mort. Or, Langlois, c’est moi, fort bien vivant, toujours fonctionnaire dévoué de l’Assistance publique, exerçant aujourd’hui à Saint-Antoine, après avoir longtemps exercé à l’Hôtel-Dieu. Il est vrai que je me suis marié entre deux ensevelissements, mais la fidèle compagne de ma vie, quoique associée à mes pénibles et lugubres travaux, n’en a pas moins conservé toute la fraîcheur de ses premiers sentiments.

Vous dites que j’ai toujours vécu séparé du reste des vivants. C’est une erreur : j’ai longtemps collaboré aux travaux des chirurgiens célèbres, tels que Nélaton, Laugier, Jobert de Lamballe qui daignaient me traiter avec bienveillance, et qui, s’ils vivaient, me donneraient des certificats à l’appui de ce que je vous dis.

De plus, vous me comparez à Han d’Islande ; j’ai cherché dans la liste de mes prédécesseurs, et je n’ai trouvé aucun gardien d’amphithéâtre de ce nom. Je ne sais donc si la comparaison est flatteuse.

Dans tous les cas, en annonçant ma mort, vous m’exposez à perdre la clientèle de ville que je joins à ma clientèle d’hôpital ; aussi je vous prie d’insérer le plus tôt possible ma rectification.

Je n’en ai pas moins été flatté des quelques lignes que vous m’avez consacrées. Permettez-moi de vous exprimer mon dévouement, en vous offrant mes services, dont j’espère vous n’aurez pas besoin de longtemps.

Le gardien des décès,
Langlois

Inutile de dire que j’ai remercié le digne homme de ses offres de services. Je désire, on le comprendra, n’en profiter que le plus tard possible. »

Georges Grison – Paris horrible, Paris original – 1877

turgot_hotel_die-2

Plan de l’article

1 Message

  • # La salle des morts de l’Hôtel-Dieu – 1877 Le 20 juin 2013 à 16:08 , par AS

    L’Hôtel-Dieu fait partie de ces bâtiments parisiens dont les origines sont toujours un peu encerclées de mystère, se confondant avec l’histoire de la ville elle-même. Ses murs, dont l’emplacement a changé plusieurs fois puis victimes d’un grand incendie, doivent receler de nombreuses anecdotes.
    Je vous conseille la lecture du récit, fait par un certain Prosper Menière, médecin à l’Hôtel Dieu, des affrontements qui ont eu lieu à Paris pendant les Trois Glorieuses. C’est un document écrit en 1830, quelque temps après les évènements de juillet. Il comporte plusieurs volets, dont les deux premiers sont davantage de nature historique que médicale. Le chapitre II est la narration des batailles proprement dites sous l’angle de ceux qui recevaient les blessées. Quand la petite et la grande histoire se mélangent.

 

Plan du site