Poire d’angoisse – 1639

Publié le : 30 août 20174 mins de lecture

L’Auteur de l’Inventaire général de l’histoire des larrons (1639) raconte ainsi en son vieux langage l’origine de l’expression : Poire d’angoisse.

« Un célèbre voleur, Palioli, né dans les environs de Toulouse eut accointance avec un serrurier de Paris fort subtil et adroit, et lui commanda un instrument tout à fait diabolique, et qui a causé de grands maux dans Paris et par toute la France : cet instrument était une sorte de petite boule, qui, par de certains ressorts intérieurs, venoit à s’ouvrir et à s’élargir, en sorte qu’il n’y avoit moyen de la refermer ni de la remettre en son premier état qu’à l’aide d’une clef, faite expressément pour ce sujet.

Le premier qui éprouva cette maudite et abominable invention, ce fut un gros bourgeois riche et opulent des environs de la place Royale. Un jour où il étoit seul en sa maison avec son homme de chambre et son laquais, Palioli vint frapper à la porte, accompagné de trois autres vauriens comme lui. Le laquais, croyant que ce fussent quelques gentilshommes, alla avertir son maître, qui étoit encore dans le lit, et les fit entrer dans la salle ; comme ils restèrent là quelque temps, ils se conseillèrent par ensemble de ce qu’ils devoient pratiquer en ceci. Les uns vouloient tuer le bourgeois, les autres non. Sur cette contestation le bourgeois arrive et leur demande ce qui leur plaisoit ; Palioli le prend par la main, et le tire à quartier avec ces mots enflés de blasphèmes et jurements étranges : « Monsieur, il faut nécessairement que je vous tue ou que vous nous donniez ce que nous vous demandons : nous sommes pauvres soldats, qui sont contraincts de vivre de cette façon, puisque maintenant nous n’avons autre exercice. »

Le bourgeois surpris pensa crier au voleur ; mais à l’instant les trois autres accoururent, et l’empoignant lui firent ouvrir la bouche et lui mirent leur poire d’angoisse dedans, qui en même temps s’ouvrit et se délacha, fesant devenir le pauvre homme comme une statue béante et ouvrant la bouche sans pouvoir crier ni parler que par les yeux.

Ce fut alors que Palioli prit les clefs de sa pochette et ouvrit un cabinet où il prit deux sacs de pistoles ; ce qu’ayant fait à la vue même du bourgeois, Dieu sait quelle angoisse le pauvre homme eut, et quelle tristesse de voir ainsi emporter son bien sans pouvoir sonner mot, outre que l’instrument lui causoit une grandissime douleur ; car plus il tâchoit à le retirer et l’ôter de sa bouche, plus il l’élargissoit et l’ouvroit. en sorte qu’il n’avoit à faire autre chose que prier de signes lesdits voleurs de lui ôter ce qu’il avoit en la bouche ; mais, lui ayant rendu les clefs de son cabinet, ils s’en allèrent avec son argent. Le patient, les voyant dehors, commença à aller quérir ses voisins, et leur montra par gestes qu’on l’avoit volé ; il fit venir des serruriers qui tâchèrent à limer ladite poire d angoisse, mais plus ils limoient et plus elle lui faisoit de tourmens ; car même en dehors il y avoit des pointes qui lui entroient dans la chair. Il demeura clans cet état jusques au lendemain, où il reçut de Palioli la bienheureuse clef et une lettre ainsi conçue :

« Monsieur, je ne vous ai point voulu maltraiter, ni être cause de votre mort. Voici la clef de l’instrument qui est dans votre bouche, elle vous délivrera de ce mauvais fruit. Je sais bien que cela vous aura donné un peu de peine, je ne laisse pas pourtant d’être votre serviteur. »

Le magasin pittoresque – 1835

Pour plus d'informations : Une nuit d’Harlem à Montmartre - 1938

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