En ballon ! Pendant le siège de Paris – Voyage extraordinaire de Paris en Norwège – 1870

Publié le : 21 juillet 20179 mins de lecture
28ème Ascension. 24 novembre 1870. — La Ville d’Orléans.

Aéronaute  : Rolier, ingénieur. — Passager  : M. Deschamps, franc- tireur.

Dépèches  : 960 kil. Pigeons : 6.

Départ  : gare du Nord, 11 h. 45 soir.

Arrivée  : Norwège, à cent lieues au nord de Christiania, le lendemain à 1 h. soir.

Ce voyage est un des plus curieux de l’histoire des ballons. Nous en rendons compte d’après une lettre adressé à l’Indépendance belge.

« Copenhague, 3 décembre,

Je vous apporte le récit du merveilleux voyage aérien de MM. Paul Rolier et Deschamps.

Ce sont eux, vous le savez déjà, qui descendirent en ballon auprès de Christiania, en Norwège, il y a quelques jours. Je tiens les détails qui suivent de la bouche même de l’un des aéronautes.

Ils sont partis de Paris le 24 novembre, à 11 heures trois quarts du soir, espérant se diriger sur Tours. Le ballon atteint bientôt une hauteur de 2 000 mètres, hors de portée des balles prussiennes, et il dominait alors tout le camp prussien. Puis, il passa successivement au-dessus de plusieurs villes du nord.

Bientôt les aéronautes crurent entendre le bruit d’un grand nombre de locomotives ; ils étaient sur les côtes de la mer ; et c’était le bruit des vagues sur les rochers qu’ils pouvaient parfaitement distinguer. Puis ils entrèrent dans un brouillard épais, n’ayant aucun moyen de déterminer leur rapidité ou le mouvement horizontal de l’aérostat.

Le brouillard s’étant dissipé, ils se trouvèrent au dessus de la mer et virent successivement un grand nombre de vaisseaux (dix-sept), entre autres une corvette française à laquelle ils firent des signaux, qui ne furent sans doute pas compris ; on ne leur répondit point. Leur intention était de se laisser tomber sur la mer et de se tenir là, jusqu’à ce qu’ils fussent recueillis par la corvette.

Plus tard, on tira sur eux, sans doute d’un vaisseau allemand, mais sans les atteindre. Ils avançaient toujours vers le nord avec une rapidité vertigineuse. Ne voyant nulle part la terre et se trouvant de nouveau dans le brouillard, ils expédièrent un de leurs pigeons voyageurs, annonçant qu’ils se croyaient perdus. Alors, ils jetèrent une longue corde de la nacelle, ce qui ralentit leur marche, le bout de la corde trempant dans l’eau. Enfin, ils aperçurent la terre et jetèrent un sac de journaux et de lettres. Le ballon, allégé, remonta et prit une nouvelle direction vers l’est.

Ce fut une heureuse inspiration ; sans cela, d’après toute probabilité, le ballon était conduit vers la mer glaciale. Placé dans ce nouveau courant, l’aérostat continua son mouvement sur la terre ferme. Perdant de son lest, il s’était relevé à une plus grande hauteur.

On ouvrit la soupape pour lâcher du gaz et faire descendre le ballon. Près de Lifjeld, paroisse de Silgjord, le ballon toucha le sommet des arbres. Les voyageurs descendirent à l’aide de la corde qu’ils avaient laissée pendre, et arrivèrent à grande peine presque sains et saufs.

Aussitôt allégé d’une grande partie de son poids, le ballon s’éleva avec rapidité sans qu’on pût le retenir. Il était alors 3 heures 40 minutes de l’après midi, d’après le méridien de Paris ; c’était le vendredi 25 novembre.

Quinze heures s’étaient écoulées depuis leur départ de Paris ; ils ignoraient dans quel pays ils étaient tombés et comment ils y seraient reçus.

Accablés de lassitude, mourant de faim, suffoqués par le gaz qui s’échappait du ballon, ils s’évanouirent tous les deux. Bientôt rétablis, ils se mirent à marcher en enfonçant profondément dans la neige. Les premiers êtres vivants qu’ils rencontrèrent furent trois loups, qui les laissèrent passer sans les attaquer. Après cinq ou six heures de marche, ils atteignirent une pauvre cabane, où ils s’abritèrent. Le lendemain ils rencontrent une nouvelle cabane. Là, ils trouvèrent des traces de feu et comprirent alors qu’ils n’étaient pas éloignés d’un endroit habité.

Peu après, deux bûcherons survinrent ; mais il leur fut impossible, à eux Français, de se faire comprendre ou de savoir en quel pays ils étaient. Un des bûcherons sortit de sa poche une boite d’allumettes pour allumer du feu. Rolier prit aussitôt la boite et lut dessus Christiania. Plus de doute, ils étaient en Norwège, nom que les paysans ne comprirent naturellement pas ; mais ils se doutèrent pourtant que les étrangers voulaient se rendre à Christiania. Ils les conduisirent d’abord à leur domicile pour les réconforter et leur donnèrent tous les soins que nécessitait leur état, puis ils les menèrent chez le pasteur Celmer, où arrivèrent le docteur de l’endroit et l’ingénieur des mines, nommé Nielsen. Ce dernier parlait très bien le français et ils purent raconter leur voyage.

Le journal de Drammen raconte que des paysans travaillant dans la forêt et apercevant le feu, s’élancèrent vers cet endroit croyant que des vagabonds voulaient incendier la cabane.

Les Français, ajoute-t-il, reçurent nos compatriotes avec des visages souriants, battant des mains et criant ; Norwégiens ! Normœd (?) Il faut alors qu’ils aient pu calculer qu’ils étaient en Norwège.

Les voyageurs furent conduits à Kappellangaarden, où l’on ne comprend pas le français ; mais ils se firent comprendre en dessinant un cercle dans lequel ils mirent un point qu’ils appelèrent Paris, expliquant par geste l’ascension du ballon et que les Prussiens avaient tiré sur eux. Plus tard on les conduisit à Kroasberg, dans la nuit vers deux heures. Ils étaient munis de pièces d’or, dont ils donnèrent dans leur joie quelques-unes à un pauvre petit garçon.

A Drammen, ils reçurent leurs cinq sacs de poste, pesant 230 livres, leurs six pigeons voyageurs et leurs autres objets qu’ils avaient laissés dans la nacelle : une couverture, deux bouteilles et demie de vin, un baromètre, un sextant, un thermomètre, un drapeau de signal, une casquette d’acier, etc., etc.

Ils se déterminèrent à donner à l’université de Christiania le ballon qui mesure une hauteur de 2,000 m. c. et qui en quinze heures a fait un trajet de plus de 300 lieues.

Il sera d’abord exposé à Christiania et le produit de la recette sera offert aux blessés français. »

Rolier nous a fait l’honneur de nous rendre visite tout récemment ; nous avons pris le plus vif plaisir, à entendre de sa bouche le récit de ses périlleuses aventures, vraiment dignes de Jules Verne ou d’Edgard Poe.

Il n’y a qu’un voyage aérien qui puisse se comparer à celui-la ; c’est la grande traversée de Green qui, parti de Londres, passa la Manche, franchit la France entière, une partie de l’Allemagne, pour descendre vingt heures après son départ dans le duché de Nassau. Mais cette grande excursion de Green ne s’est pas exécutée dans des circonstances aussi dramatiques. — M. Rolier et son compagnon ont eu l’impression d’une perte imminente, presque certaine égarés dans les profondeurs de la mer du Nord, ils devaient se préparer à la plus horrible des morts !

Une des parties les plus intéressantes du récit de M. Rolier est relatif à son séjour à Christiania. — L’enthousiasme des Norwégiens était extrême, on fêtait partout les voyageurs ; dans des banquets dans des réunions on portait des toasts à la France. Des dépêches télégraphiques étaient lancées de toutes les villes du royaume pour féliciter les Français tombés des nues.

Les dames envoyaient à M. Rolier des souvenirs, des bouquets, des cadeaux ; l’heureux aéronaute, en descendant du ciel, avait trouvé le paradis sur la terre !

En ballon ! Pendant le siège de Paris – Souvenirs d’un aéronaute – Par Gaston Tissandier, professeur de Chimie à l’association polytechnique – 1871

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