Charles Lecour, inventeur de la boxe française – 1885

la boxe française - 1885

Publié le : 14 août 20178 mins de lecture

Celui que Dumas père a baptisé carrément « un homme de génie », Charles Lecour, l’inventeur de ce sport original : la boxe française, se dispose à prendre sa retraite.

Hier encore, à soixante-seize ans, il professait à l’École d’escrime de la rue Saint-Marc, avec une vigueur de biceps et de jarret peu commune à cet âge. Au temps de ses débuts, Paris ne pouvait opposer aucun adversaire sérieux aux boxeurs anglais.

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Les Parisiens d’alors ne connaissaient guère que la « savate », sport peu noble, mais indispensable aux viveurs de 1830, qui — lord Seymour et le vicomte de Labattut à leur tête — fréquentaient les bals populaires et la descente de la Courtille. Il y avait là des luttes épiques entre les beaux de la barrière et les beaux du boulevard ; et malheur à qui n’eût pas su lancer le coup de pied dans les règles.

Aussi les jeunes gens du monde cultivaient-ils la savate ou le chausson. Un « savetier » célèbre en ce temps-là, Michel Pisseux, allait donner des leçons chez le duc d’Orléans et chez lord Seymour.

Tout en professant la savate, Charles Leçour avait la conscience que c’était un art incomplet. A l’inverse de la boxe anglaise, elle n’utilisait que la jambe et le pied comme armes offensives et défensives, laissant au bras et au poing un rôle purement défensif. L’idéal devait être la fusion des deux systèmes. Jaloux de le réaliser, Lecour partit pour l’ Angleterre, où, sans trahir son incognito, il prit des leçons de Swift et d’Adams, les deux premiers boxeurs de Londres. Puis, quand l’élève se sentit maître, il revint en France appliquer ses théories.

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C’est de cette combinaison de la boxe anglaise et de la savate que naquit la boxe française, où l’homme profite à la fois de toutes ses armes naturelles, bras et jambes, jarrets et biceps, où les coups de pied et les coups de poing se marient avec une méthode parfaite, qui fait de ce sport une science, comme l’escrime.

Charles Lecour fit bientôt florès à Paris. Aucune salle d’armes ne compta plus de noms aristocratiques que sa salle du passage des Panoramas, où venaient régulièrement « travailler », en vareuse de flanelle rouge, MM. le duc de Mouchy, prince Etienne de Beauveau, comte de Boisgelin, marquis de Noailles, marquis de Dreux-Brézé, baron Gourgaud, comte Clary, Nestor Roqueplan, comte de La Rochefoucauld, comte Vigier, comte Walewski, baron de Bazancourt, Théophile Gautier, MacCarthy, comte d’Alton-Shee, etc., etc.

Il allait aussi professer en ville, notamment chez lord Seymour, rue Taibout, et chez Alphonse Karr, dans son pavillon de la rue de la Tour-d’Auvergne. Théophile Gautier assistait aux leçons en tenue truculente, un bonnet à gland d’or posé sur de longs cheveux.

Taillé en Hercule, le poète avait un poing proportionné ; et Banville, dans ses Odes funambulesques, a célébré la vigueur de ce poing,

Qui, sur la tête du More,
Fait cinq cent vingt pour son écot.

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Malgré le succès de Lecour et la vogue de la boxe française, lord Seymour et ses amis voulurent organiser un assaut de boxe anglaise entre les célèbres champions Adams et Swift, qui s’étaient réfugiés à Paris, à la suite d’assauts malheureux dans lesquels ils avaient tout simplement tué leurs adversaires.

La petite fête eut lieu, devant une foule énorme, à Charenton. Tout se passa si bien à la mode d’outre-Manche, qu’au bout de dix minutes le sang des champions coulait à flots, et qu’au bout d’une heure, ils étaient méconnaissables. On ne leur voyait plus que les yeux, et quels yeux !

Après une heure et quart de lutte, à l’issue de laquelle Swift fut proclamé vainqueur, on transporta les deux lutteurs, dont les membres étaient en capilotade, dans une auberge voisine ; on leur fit prendre un bain, et, comme en Angleterre, le médecin, à coups de bistouri, dégagea leurs paupières tuméfiées, et les arrosa de jus de citron.

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Les Parisiens emportèrent de ce spectacle, avec un indicible écœurement, la conviction que la boxe anglaise ne pourrait pas s’acclimater en France.

La vogue de Lecour s’en accrut. Et, bientôt, l’art dont il était l’initiateur ayant fait école, il eut de nombreux émules, entre autres, Leboucher, Loze, Rambaud, dit la Résistance, et Vigneron, ce colosse, plus connu sous le sobriquet de l’Homme-Canon.

En 1848, il céda la salle des Panoramas à son frère Hubert ; mais il garda ses leçons particulières et prit part aux grands assauts de boxe qui se donnaient au Cirque et qui faisaient fureur, comme ceux organisés à la salle Montesquieu, par Leboucher, et, par Vigneron, à l’Hippodrome.

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A la fin de l’Empire, Charles Lecour avait pour élèves : le jeune duc de Luynes, qui devait mourir si glorieusement à Patay, le duc de Rivière, Ferry d’Esclands, le général Ney d’Elchingen, etc., etc. Depuis la guerre, il en a formé tout une brillante légion, soit au Cercle des Eclaireurs, soit à la salle Pons, soit à l’Ecole d’escrime de la rue Saint-Marc ; on peut citer dans le nombre MM. le prince de Béthune, le baron de Préménil, de Coppens, le vicomte de Coubertus, le comte de Chevillé, le comte de Lyonne, le marquis de Sassenay, le vicomte de Pully, Goupil, Gaillard, Corthey, G. Laroze, etc., etc.

Aujourd’hui, Lecour se retire, mais il laisse sa méthode en pleine prospérité. On a bien essayé d’opposer à cette méthode le jeu dit « Marseillais », jeu quelque peu fantaisiste ; mais la tentative n’a pas réussi, et les autres professeurs ont eux-mêmes reconnu la supériorité du jeu Lecour, notamment Charlemont, dans sou traité de boxe, dont la remarquable préface, signée Charles d’A., est de M. Ranc, très au fait, comme on sait, de toutes les choses sportives.

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Tous les anciens rivaux de Lecour sont morts aujourd’hui, et l’un d’eux, Vigneron, de mort tragique. On se rappelle qu’en « travaillant », il tomba sur le côté, et que son canon lui broya le crâne.

Au lieu de mourir sur le champ de bataille, Charles Lecour s’en va tranquillement sur les hauteurs de Montparnasse, où je ne conseille pas aux jolis messieurs du boulevard extérieur de se frotter à ses soixante-seize ans. Il connaît encore mieux que personne « le plus court chemin d’un poing à un autre » et l’art d’y joindre un coup de pied sans parade. Avec de pareilles armes, on n’est jamais pris au dépourvu.

La vie parisienne par Parisis (Emile Blavet) – 1886

Toutes les illustrations de cet article ont été extraites de cet étonnant ouvrage :
Les Sports modernes illustrés. encyclopédie sportive illustrée (813 gravures), publiée sous la direction de MM. P. Moreau et G. Voulquin, édité par Larousse (Paris) en 1905-1906.

Pour plus d'informations : Pourquoi dit-on le Paris-Saint-Germain ?

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