Les Mémoires d’un voleur – 1873

Publié le : 30 août 20177 mins de lecture

« Les Mémoires d’un voleur ! Vous figurez-vous ce que peuvent être les Mémoires d’un voleur ? En voici un fragment trouvé sur un gamin, nommé Beauvilliers, qui vient de comparaître en police correctionnelle pour tentative de vol.

J’avoue qu’il est difficile de trouver quelque chose de plus curieux.

J’ai vingt-trois ans, je suis garçon boucher ; A l’âge de quatorze ans je fesai mon apprentissage à la boucherie Duval, à la Madelaine.

L’affaire, 4 milié (4,000 francs), en allant en recête au bout de huit mois que j’étais dans la maison. J’ai mangé tout, l’espace de quatre mois, mon perd les a remboursé et m’a fait mettre à la Roquette pour trois mois. Il est mort dans l’intsrvalle, de là j’ai goipé (flâné) au théâtre, fesait la portière et je vendai des talbin (contre-marque), cigare et du feu.

Dix-sept ans : J’ai commencé à faire l’étalage (voler à l’étalage), réussi pendant un an ; pas d’enfilage (pas pris).

Dix-huit ans : Je fesai le rade (vol au comptoir) et la condition (se placer comme domestique), je me camouflait (se déguiser) et avec des faux faffe (papiers) j’allai dans les bureaux de placement avec une tune (pièce de 5 fr.), je ne manque pas le coche de 2 pille (200 fr.) chez un troquet (marchand de vin). Premier sapement (condamnation) six mois. Laissez-là.

Dix-neuf ans : de là j’ai fait les coquines passage Jouffroy, Notet des ventes, etc. Bien réussi un pédé au chantage de 1,800 fr., un bobe et une bride en jonc (bijoux), harnais (vêtements) de toute sorte avec mon poteau (camarade) Goconas.

Vingt ans : Je me remets au turbin (travail) dans la boucherie, je fais les pièces des taché (vol des morceaux destinés au détail).

Au bout d’un an, poissé (arrêté) avec une pesée de gigot que j’allais fourgué (vendre), deuxième sapement.

Les trois brèmes (jeu de hasard) pendant six mois, réussi.

Ici Beauvilliers raconte sa liaison avec une fille qui lui rapportait 250 francs par mois, puis il continue :

Où est ce temps là, j’avais bonheur, argent, amour tranquille, les jours se suive mais ne se ressemble pas. Mon mignon (maîtresse) connaissait l’anglais, l’allemand, très bien le français, l’auvergna et l’argot que je lui aprenais de la boucherie, folie !!!

Un commencement de jalousie me prend et je fais sortir mon mi non de la maison et, plus grande folie encore je la mets sur le turbin (la fait se livrer à la prostitution).

Pendant six mois gagneuse d’argent gros comme elle. Au bout de six mois, malade, cinq mois à Saint-Lazare. Rebectage (recommencer) de mon côté, plus d’argent, goipé (flané), paillasson (couché dehors), tourné au vinaigre ; hélas ! plus de femme, je la vais perdu.

Vingt et un an, rangé des voitures (rangé.)

Beauvilliers nous apprend que ce qu’il appelait se ranger, consistait à aller danser dans les quadrilles des Clodoches :

Dansai avec Peau-Rouge, l’Anglais, Simonne et Flageolet, et moi je remplaçai l’Anglais en Italienne dans les quadrilles grotesques ; 5 francs tous les soirs pendant deux mois au concert de la Gaîté, et un mois au Pavillon- de-l’Horloge, aux Champs-Elysées ; pendant quatre mois, l’hiver, aux Porcherons, assez heureux.

A vingt-deux ans, je me remets au turbin, etc., etc.

Ce chapitre des Mémoires était, paraît-il, adressé par Beauvilliers à un de ses camarades de Mazas. Voici comment le jeune chenapan raconte la tentative de vol qui l’a amené devant le tribunal :

Le 1er avril, le matin, je rencontre des garçons des halles que j’avais vu à Sainte-Pélagie, Godard et Dartagnan ; le dernier me dit donc : « J’aurais besoin d’outil, j’ai une condition (un vol avec effraction) à faire. » Je lui dis : Je n’en ai pas, seulement j’ai un monseigneur que je pourrai te prêter ; bref, je lui dis : « Je te l’apporterai à trois heures, au café de la Boucherie ; en même temps, j’irai chez mon fourgue (recéleur) lui porter ce que j’ai à la maison. » Donc, à trois heures, je lui porte ce monseigneur, et en même temps j’avais les affaires en question, la bague, la tabatière, les boucles d’oreilles, la montre et l’épingle ; nous buvons ensemble deux ou quatre absinthes, et il m’ennuit tant que je finis par aller avec lui voir cette fameuse condition rue Vivienne.

Nous montons ; et moi je frappe à la porte ; personne. Je sonne et personne ne répond. J’allume (commencer l’opération), et mon Dartagnan file le luctrème (introduit le monseigneur) dans la porte ; au même moment, la porte s’ouvre, et une femme parait et elle gueule à la chienlit (appeler, au secours). Je descends quatre à quatre les escaliers, et lui aussi ; il sort dans la cour, et moi je le suis ; mais le concierge l’arrête. Moi je file une poussée au concierge et il se faufile, et moi je cours après en criant : Arrêtez-le ! Bref, il est arrêté et moi aussi ; je vais à niord (nier), mais mon imbécile avait gardé son outil et moi j’étais embêté pour mes bijoux que j’avais sur moi, etc.

Tu va peut-être me traité de Loufoque (imbécile) d’aller au turbin avec des objets pareille.

Dartagnan avout tout, il prend tout sur lui et il dit je ne connais pas ce jeune homme, les témoins ne me connaisse pas, bref tout va bien.

L’interrogatoire de Beauvilliers a été des plus caractéristiques :

D. Qu’alliez-vous faire rue Vivienne ?

R. J’allais prendre un bain.

D. Mais il est assez étonnant que vous, qui habitez rue Rochechouart, vous veniez prendre vos bains rue Vivienne, dans un établissement luxueux ?

R. Je peux bien aller aux bains Vivienne comme tout le monde.

D. Mais vous êtes sorti en criant : Au voleur !

R. Pour faire comme tout le monde.

D. Puis vous vous êtes sauvé en courant ?

R. Pour faire comme tout le monde.

D. Et la tabatière que vous aviez sur vous ?

R. Je peux bien en avoir comme tout le monde.

Beauvilliers avait déjà été condamné deux fois pour vol. Cette fois encore il a été condamné à quinze mois de prison. »

Le Figaro – 4 août 1873

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